Vegetal Nebula

Prisca Lobjoy développe un travail artistique durant desexpériences immersives au cours desquelles elle entre en relation avec lesêtres vivants humains et non-humains. Son parcours artistique dans le milieu musical et sa pratique de lavidéo l’amènent à faire surgir une énergie dans ses œuvres, énergie vitale quise retrouve désormais dans son approche des paysages et son contact avec lesfleurs. Elle photographie souvent en mouvement comme si elle filmait. Attentiveet curieuse, elle s’approche du sujet et se laisse captiver par les sensationset effets du hasard.

Elle réalise les premières images de sa série Glitch flowersavec son téléphone portable, en ressentant le vent. Puis elle modifie sesphotographies de plantes en mouvement à partir d’applications numériques. Leurstirages miniatures nous invitent à prêter attention aux plantes sauvages, auxespèces qui poussent naturellement dans les jardins.

Durant ses explorations de milieux naturels, parcs, jardins et desites à proximité de son lieu de travail artistique, l’artiste photographie lesvégétaux en les observant de plus près. Elle capte un moment dans uneatmosphère de nuit et rend visible une métamorphose du végétal. Ses prises devue nocturnes qui constituent la série Vegetal Nebula, révèlent cesêtres vivants en train d’éclore ou d’apparaître. Un parallèle s’établit avecl’univers du cosmos. Elle capte des images où émergent des nébuleuses. Puiselle accentue leurs lumières et leurs couleurs. L’artiste développe ainsi untravail entre lâcher prise et recul. Son geste est à la fois contrôlé etlibéré. Les plantes surgissent tels des fantômes, des êtres en état des’épanouir ou de faner. Ses œuvres présentent des flux de particules quisuggèrent les échanges dans l’atmosphère et la respiration des végétaux.

En retravaillant les tirages de cette série, elle entre dansl’intimité des plantes et accentue les formes et les structures. Elle se laisseguider par son geste et ses souvenirs de sensations vécues. Elle développe uneécriture, des signes qui lui sont propres pour souligner le dynamisme duvégétal. Ses transformations rendent perceptibles l’intérieur de ces espèces,comme si elles étaient observées au microscope. Les points blancs ressemblent àdes éclats lumineux, en écho à la lune. L’artiste crée alors de nouvellesespèces, des hybrides qui acquièrent d’autres propriétés. Les végétaux libèrentleur énergie et témoignent de leur proprioception, capacité de se mouvoir, deréagir aux phénomènes naturels. Un passage d’un organisme à un autre secrée : le végétal devient tantôt glaçon, tantôt cristal, tantôtconstellation. Un changement de perception s’opère alors du micro au macro,d’une vision de très près à un monde immense et lointain.

En choisissant des conditions peu propices à la prise de vue,Prisca Lobjoy ouvre son regard aux surprises visuelles. Elle tend à nous faireprendre conscience de la richesse de notre environnement. Nous pouvons trouverà proximité de nous-mêmes les conditions d’émerveillement et de découverte ennous attardant à cette vie végétale.

L’artiste joue avec les possibilités de son outil afin de rendrecompte des sensations éprouvées au contact des plantes. Ses œuvres nousinvitent à créer des liens entre les éléments naturels perçus et composent unensemble qui nous transporte vers un monde à la fois au ras du sol et dans lesairs.

Ainsi, Prisca Lobjoy convoque la science botanique en réunissantses images, cueillettes d’instants de contemplation. Ses œuvres incarnent lavie des plantes. Le flou, le décalage de mise au point nous engagent à uneattention plus aigüe à notre environnement, aux espèces végétales quitémoignent de la bonne santé d’un écosystème.

Ensemble, les photographies de la série Vegetal Nebula nousinvitent à nous raconter des histoires et à nous souvenir d’expériencestactiles auprès des plantes. Ses œuvres, images retravaillées par ses gestespicturaux nous proposent à la fois une relation avec la nature et unecontemplation à distance d’un paysage lumineux.

Pauline Lisowski

Prisca Lobjoy: "Euphoria"

Text by Jonathan Kemp

Engl version


Euphoria
Noun


1. A state of intense happiness and self-confidence.
2. Psychology. A feeling of happiness, confidence, or well-being sometimes exaggerated in pathological states as mania.

“Womanhood does not depend on reproductive biology… ‘woman’ remains a useful shorthand for the entanglement of femininity and social status regardless of biology—not as an identity, but as the name for an imagined community that honors the female, enacts the feminine and exceeds the limitations of a sexist society.”
– Susan Stryker

In her book Gender Trouble: Feminism and the Subversion of Identity (1991), Judith Butler argues that the drag queen reveals the radical instability of the relationship between sex and gender and dramatizes the performative nature of gender identity. For Butler, the construction of gender identities is produced through repetitive performance of gestures without which the man/woman distinction has no sense. By removing those gestures from the sexed body with which they’re associated – femininity performed by a ‘male’ body - drag exposes gender as a cultural code which relies on imitation and reappearance, devoid of any originary, essential truth. The parodic nature of drag accentuates the norms of gender performance: there is no doer behind the deed, only the illusion of one. All identity is mimicry, in thrall to unattainable ideals that oppress us. The drag queen is the lie that tells the truth, exposing the social coercion at the base of the performative nature of identity. For Butler, drag’s parody points to the fact that, if there’s no essential origin of gender identity, it is open to disruption, subversion, intervention, recongfiguration. Drag troubles gender in useful and fruitful ways.

For me, these intimate portraits by Prisca Lobjoy of drag queens in situ, at work and off guard, suggest Emily Dickinson’s plea to “Tell all the truth but tell it slant”, for so many of them show the body from behind, turned or turning away, the camera slanting towards their subject in ways that seem to give us greater insight into the queer spaces these bodies occupy and move through. A private moment with one’s reflection becomes a public event through the act of photography. The refusal of the subject to catch the viewer’s gaze becomes the purpose of the viewer’s gaze, a fixing that is an unfixing, identity refused or unravelled. These are performing bodies refusing to perform, resisting capture. These frozen moments of bodies in motion give us the broken arc of an incomplete gesture, the repetition or reiteration of which supports the illusions of gender, and the suspension of which disrupts.

The euphoria on display in Lobjoy’s euphoric portraits is the vertiginous, destabilising euphoria of subversion and parody; the amplification of the ruse of gender. It’s the euphoria that comes with expanding the concept of womanhood to include those bodies rendered unintelligible by the old rules, that heterosexual matrix within which these female or feminine bodies battle confidently, euphorically, knowing that the gestures by which they signify are up for grabs, available to all who have the confidence to turn away from the old ways and embrace a new order of things.

Jonathan Kemp,

London, April 2020

Jonathan Kemp’s debut novel London Triptych (Myriad, 2010) was acclaimed by The Guardian as an “ambitious, fast-moving, and sharply written work” and by Time Out as “a thoroughly absorbing and pacy read.” It was shortlisted for the inaugural Green Carnation Prize and won the Authors’ Club Best First Novel Award in 2011. A story collection, Twentysix was published by Myriad in November 2011, followed by a second novel, Ghosting, in March 2015. His first book of non-fiction, The Penetrated Male, was published by Punctum Books in 2012, with a second, Homotopia? Gay Identity, Sameness & the Politics of Desire in 2016. He has been teaching creative writing for twenty years and is currently at Middlesex University.


traduction française


Euphoria
nom

un état de bonheur intense et de confiance en soi.
Psychologie. un sentiment de bonheur, de confiance ou de bien-être parfois exagéré dans des états pathologiques comme la manie.

‘‘La féminité ne dépend pas de la biologie reproductive…« femme » reste un raccourci utile pour exprimer l’enchevêtrement de la féminité et du statut social indépendamment de la biologie - non pas en tant qu'identité, mais en tant que nom d'une communauté imaginée qui honore la femme, incarne édicte le féminin et dépasse les limites d'une société sexiste. ‘’
– Susan Stryker


Dans son livre Trouble dans le genre. Le féminisme et la subversion de l'identité (1990), Judith Butler soutient que la drag queen révèle l'instabilité radicale de la relation entre le sexe et le genre, et dramatise la nature performative de l'identité de genre. Pour Butler, la construction des identités de genre est produite par la répétition de gestes sans lesquels la distinction homme / femme n'a aucun sens. En supprimant ces gestes du corps sexué auquel ils sont associés - la féminité réalisée par un corps «masculin» - le drag expose le genre comme un code culturel qui s'appuie sur l'imitation et la réapparition, dépourvu de toute vérité originaire et essentielle. La nature parodique du drag accentue les normes de la performance de genre: il n'y a pas d'acteur derrière l'acte, seulement son illusion. Toute identité est mimétisme, asservie à des idéaux inaccessibles qui nous oppriment. La drag queen est le mensonge qui dit la vérité, exposant la contrainte sociale à la base de la nature performative de l'identité. Pour Butler, la parodie du drag souligne le fait que, s'il n'y a pas d'origine essentielle de l'identité de genre, elle est susceptible de perturbation, de subversion, d'intervention, de reconfiguration. Le Drag trouble le genre de manière utile et fructueuse.

Pour moi, ces portraits intimes de Prisca Lobjoy montrant des drag queens in situ, pris au travail et à la dérobée, suggèrent le plaidoyer d'Emily Dickinson "Dites toute la vérité mais dites-la obliquement", car beaucoup d'entre eux montrent le corps de dos, tourné ou se détournant, la caméra s'inclinant vers le sujet d'une manière qui semble nous donner une meilleure idée des espaces queer que ces corps occupent et traversent. A travers l’acte photographique, un moment privé avec son reflet devient un événement public. Le refus du sujet de capter le regard du spectateur, devient l’objet même du regard du spectateur, une fixation qui se détache, l'identité refusée ou déstructurée . Ce sont des corps qui refusent de performer, qui résistent à la capture. Ces instants figés de corps en mouvement nous donnent l'arc brisé d'un geste incomplet, dont la répétition ou la réitération soutient les illusions de genre, et dont la suspension perturbe.

L’euphorie exposée dans les portraits euphoriques de Lobjoy est l’euphorie vertigineuse et déstabilisatrice de la subversion et de la parodie; l'amplification de la ruse du genre. C'est l'euphorie qui vient avec l'élargissement du concept de féminité pour inclure les corps rendus inintelligibles par les anciennes règles, cette matrice hétérosexuelle au sein de laquelle ces corps femelles ou féminins se battent avec confiance, euphoriquement, sachant que les gestes par lesquels ils signifient sont à gagner, à la disposition de tous ceux qui ont la confiance nécessaire pour se détourner des anciennes méthodes et adopter un nouvel ordre des choses.

Jonathan Kemp,

London, April 2020



Gotan Project, texte : Jacques Denis (2011)

Elle a le sens du détail aiguisé, la science de l’image suggérée… A travers ses photos et vidéos, la plasticienne Prisca Lobjoy apporte depuis dix ans l’indispensable touche féminine à Gotan Project, un rien d’érotisme. Son regard éclaire autrement la musique, son œil décadre des clichés qu’elle détourne avec sensualité, à travers une vision tout à fait singulière. Comme sur ces photos, pour la plupart inédites, extraites de la première session de Gotan Project : on y retrouve des proches, un esprit de « famille » qui va demeurer la ligne de son travail au fil du temps, un supplément d’âme qui n’est pas pour rien dans l’identité du trio. A la grandiloquence du pathos propre au tango, elle privilégie l’intimité et les sentiments partagés, une autre idée de la proximité, des corps dénudés, un grain de peau, des instants voilés… Des fragments d’un discours langoureux.


Texte : Naomie Klein, extrait de la préface du livre photo Carnet de Viajes (2008)

«C’est cet état de réalité brisée que les photos de Prisca Lobjoy capturent si parfaitement dans ce livre que vous tenez. Ces photos sont beaucoup plus que de simples images de tournée : ce sont des portraits de musique en mouvement. Comme les films de Lobjoy, elles sont indissociables de l’expérience Gotan, tout en ayant une valeur dans leur propre domaine artistique. Chaque prise capture, à un certain niveau, l’impression et la texture du tango - la mélancolie, le sommeil agité, l’élégance désuette - ainsi que le son d’une révolution en sourdine, celle de Gotan. Tout comme elle l’a fait avec ses pochettes de disques, ses vidéos, ses films et ses projections en live, les photographies de Lobjoy ajoutent une autre couche artistique au travail de Gotan Project déjà à multiples dimensions : musique, danse, théâtre, film, vidéo. Dans un groupe où les mélodies surviennent en paragraphes, avec la familiarité et l’impact de paroles de chansons, ces moments figés s’inscrivent parfaitement. »


Texte : Sally Gross for T4XI magazine (2005)

I asked Prisca Lobjoy what her thoughts are about luxury and she said for her -

Luxury is not being a prisoner of a situation or a relationship, not being trapped by ones own body or mental habits.

Luxury is experimentation.

Luxury is according credit to things that seem superfluous.

Prisca Lobjoy is in tune with the universe, she recognises and embraces its chaos and constant motion, and she knows that nothing stands still and everything changes. Motion creates motion, the continuous unstoppable flow of energy, the life force, the heartbeat, and the sex, the rhythms of the bass and drums, the tempo of human experience. She describes her approach to her work as that of a choreographer. Her pulsating loops of imagery dance across the screen like a free falling dream, images appear and disappear in a heartbeat. She traces the movement of time using fragmentation and repetition, she plays with different levels of perception nothing in her world is straight. Childhood memories flicker across the surface and then are lost to vibrant sexual imagery that twists and turns and pulses until they fade away or are interrupted by a different gaze. Prisca says she prefers to work in video as it allows her to work with movement and time and music, just like a silent film.

GOTAN PROJECT:

Out of the total darkness the loud beating drums emerge with an electrifying energy.

Using the sounds of an unexpected storm and an invading army the Gotan Project capture their audience by surprise. Sirens sound and lights flicker, all eyes are fixed on the stage, time is suspended by the power of their electro voodoo dub magic.

Exactly on the beat a cinematic horizon appears and the audience is engulfed by black and white loops of police and armies and then by rioting crowds and chanting protesters and here the journey begins with memories of Buenos Aires and the dark side of Tango’s past. Spellbound the audience slips into the world according to Gotan, a world in which the senses quite literally collide and each event is unique to that very instance and then washed away again into the ocean of memory.


Extrait texte du livre Dictionnaire passionné du Tango

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